Le projet de loi 100 anti-Uber, point par point

2016-05-13

Le chat est sorti du sac: après plusieurs mois d’inactions, le ministre des transports a enfin déposé à l’assemblée nationale un projet de loi pour clarifier le statut légal des services de transports comme Uber. Sans grande surprise, le projet de loi réitère “l’ancien régime” de transport par taxi réglementé par le fédéral, rendant ainsi des services alternatifs comme Über formellement illégal. Par contre, le projet accompli beaucoup plus que de simplement renforcer le régime en place: il arroge au gouvernement plusieurs autres pouvoirs en matière de transport par taxi, en modifiant certains structures en place et en instaurant d’autre. Voici donc un résumé des points saillants du projet de loi dans sa forme actuelle, avec chaque article ou alinéa pertinent  cité et commenté.

Sauf sur avis contraire, toutes les modifications affectent la Loi concernant les services de transport par taxi tel que publié sur internet en date d’aujourd’hui.  Bien que le projet de loi modifie aussi le Code de la sécurité routière et la Loi sur le ministère des transports, et d’autres lois, les changements apportés dans ceux-ci ne font qu’appuyer les dispositions de la première loi modifiée.

Article 1, Alinea 2:

2° par l’insertion, après « services offerts » de « , d’assurer une gestion de l’offre de services de transport par taxi qui tient compte des besoins de la population ».

Cette modification sur un article de préambule de la loi montre l’intention du gouvernement de continuer d’oeuvre comme seul acteur capable de determiner l’offre de transport. Rappelons que le système de gestion de l’offre sous forme de permis est ce qui a causé la présence d’Über en premier lieu.

Article 2:

L’article 2 fait des modifications massives au définitions légales de ce que comporte le transport, le covoiturage, et autres items pertinents. Nous allons l’analyser en plusieurs segments.

« 2° « intermédiaire en services de transport par taxi », toute personne qui fournit, par tout moyen, à des titulaires d’un permis de propriétaire de taxi ou à des titulaires d’un permis de chauffeur de taxi des services de publicité, de répartition de demandes de services de transport par taxi ou d’autres services de même nature;

Modifiant la même loi existante, on fait l’effort d’étendre la couverture de la définition existante d’un intermédiaire en services de transport par taxi pour, probablement pour mieux pouvoir inclure Über ou d’autres services alternatifs.

« 3° « services de transport par taxi », tout service de transport rémunéré de personnes par automobile, à l’exception des suivants:

La définition formelle de taxi est ajoutée à la loi. Sinon que préambule, il n’y a aucune allusion à une tel définition formelle dans la forme actuelle de la loi. Les exemptions qui étaient autrefois présentes à l’article 3 de cette même loi sont maintenant énumérés à même l’article 2.

a) le covoiturage effectué sur une partie ou l’ensemble d’un même parcours, à la condition que : i. l’automobile utilisée soit un véhicule de promenade au sens de l’article 4 du Code de la sécurité routière (chapitre C-24.2); ii. le conducteur décide de la destination finale et que la prise de passagers à bord soit accessoire à la raison pour laquelle il se déplace; iii. le transport soit offert moyennant une contribution financière qui se limite, quel que soit le nombre de personnes à bord de l’automobile, aux frais d’utilisation de celle-ci et dont le montant total n’excède pas celui de l’indemnité accordée à un employé d’un ministère ou d’un organisme dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) pour l’utilisation de son véhicule personnel;

Le dossier du covoiturage en est un qui a certes eu moins de publicité que les déboires de Über, mais qui est connexe et tout à fait important, puisqu’il constitute aussi du “transport illégal” au Québec. Les barèmes sont maintenants fixés: l’intention du conducteur et la rémunération sont les critères qui identifient la légalité ou non du covoiturage. Cette définition laisse encore trop de place aux abus de zèle de la part des policiers: l’intention est sujette à interpretation, et la limite des contributions sous-entends encore que de faire un peu d’argent pour services rendus est inacceptable. Les couts d’opération d’un véhicule pourraient être fortement débattus, et je ne me surprendrais pas de voir des défenses être faites sur les bases des coûts totaux d’opération engendrés par les chauffeurs. Un seuil absolu de contributions est aussi établi au même niveau que les indemnités pour utilisation de véhicules personnels accordés au fonctionnaires,  comme si les couts d’opération étaient uniformes.

Article 5, Alinea 2

3° par l’ajout, à la fin, de l’alinéa suivant : « Malgré le premier alinéa, lorsque l’automobile servant au transport par taxi est mue entièrement au moyen de l’énergie électrique, la Commission des transports du Québec peut autoriser le titulaire du permis de propriétaire de taxi à posséder le nombre d’automobiles supplémentaires mues entièrement au moyen de l’énergie électrique qu’elle détermine pour s’assurer que le titulaire du permis puisse continuer d’offrir des services pendant le temps de la recharge. ».

M. Taillefer a manifestement une excellente équipe de lobbyiste. Téo pourra avoir un nombre plus grand de voitures immatriculées T que ce que ne lui permet le nombre de permis de taxi en sa possession, dans l’objectif de faire une rotation en période de charge. À noter que le soin de determiner la taille de la flotte de reserve est entièrement à la discretion de l’exploitant. Je ne voudrais pas attribuer à Téo l’intention d’abuser de leur capacité de reserve, mais il faut au moins constater que le potentiel d’abus y est.

Article 6

«5.1. Le gouvernement détermine le nombre d’agglomérations et le territoire de chacune d’elles. Le ministre rend publique cette décision sur le site Internet de son ministère.»

Ici, une addition est fait pour rendre formel le contrôle du ministère des transports sur le nombre de permis. Le contrôle effectif n’a pas changé, puisque les nombres de permis pouvant êtres attribués par la Commission des transports du Québec (CTQ) était déjà une prérogative ministérielle. À noter que l’article suivant donne aussi la prérogative au ministère de determiner ce que constitue une agglomeration, ce qui est actuellement une tâche de la CTQ. Cherche-t’on d’autres structures à abolir?

Article 8

«6.1. Un titulaire de permis de propriétaire de taxi peut offrir de transporter plusieurs personnes ayant demandé séparément une course vers une même destination ou vers plusieurs destinations à l’intérieur du même parcours, à la condition que cette course soit demandée par un moyen technologique permettant à chaque client d’accepter à l’avance le partage des frais de la course. ».

Premier référant plus explicite à des modes alternatifs de contractualiser les transports. L’imaginaire de nos législateur n’est pas totalement desséchée, puisqu’à ma connaissance, un tel système n’a pas encore été mis en oeuvre pas aucun des nouveau joueurs.

Article 10

« 10.1. Le gouvernement peut, pour chaque agglomération qu’il indique, fixer le nombre maximal de permis de propriétaire de taxi pouvant être délivrés par la Commission selon, le cas échéant, les catégories de services qu’il identifie et les conditions qu’il détermine. ».

Encore ici, la CTQ se voit confisquer une prérogative: c’est maintenant le gouvernement qui émettra par décret le nombre de permis approprié. D’autres amendements aux articles 9 et 11 complète cette modification.

Article 15

15. L’article 50 de cette loi est modifié par le remplacement de « d’appels » par « de demandes de services de transport par taxi ».

Autre modification mineur pour plus facilement inclure les services décentralisés à la Über. À noter que l’article 34 de la loi rendais déjà illégal le fait de faire du “dispatch” sans un permis approprié; elle a aussi été modifiée pour que sont interpretation puisse être plus large.

Article 19

[...] «Le prix d’une course peut également différer des tarifs établis par la Commission, selon le moyen technologique utilisé pour effectuer la demande de service de transport par taxi, dans la mesure et aux conditions prévues par règlement du gouvernement. ».

Le but de cette disposition n’est pas claire. Un client pourra-t’il profiter de meilleurs tarifs si il utiliser une application pour commander son taxi, et inversement, cette disposition ouvre-t’elle la porte à une surcharge pour les appels au “dispatchs” téléphoniques? Pourquoi accorder à certains joueurs l’avantage de pouvoir baisser leur prix en augmentant l’efficacité avec de l’innovation quand Über s’est fait reprocher de faire justement cela? Ici encore, cette exception semble faite spécifiquement pour Téo.

Article 25

«71.1. Un agent de la paix ou un employé autorisé à cette fin par une autorité municipale ou supramunicipale chargée de l’application de la présente loi qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne contrevient au paragraphe 2° de l’article 117 suspend sur-le-champ, au nom de la Société, et pour une période de sept jours, le permis délivré à cette personne en vertu de l’article 61 du Code de la sécurité routière (chapitre C-24.2) l’autorisant à conduire une automobile. Lorsque la personne n’est pas titulaire d’un permis l’autorisant à conduire une automobile ou est titulaire d’un permis délivré par une autre autorité administrative, l’agent de la paix ou l’employé autorisé suspend sur-le-champ, au nom de la Société et pour une période de sept jours, le droit de cette personne d’obtenir un permis d’apprenti-conducteur, un permis probatoire ou un permis de conduire.

Les menaces de Daoust s’avèrent vraies: des permis seront suspendus sur-le-champ pour les contrevenants. Si la loi actuelle permettait déjà une saisi du véhicule, mesure que les divers corps de police municipaux ont eu recours à outrance, ce sera maintenant le véhicule ET le permis qui sera confisqué. À noter que ces dispositions s’applique aussi au covoiturage, puisque que ce dernier rentre dans les définition d’un infraction à la loi à l’article 117.

Article 31, alinéa 5

«2.2° fixer, pour toute période qu’il détermine, des droits annuels additionnels pour l’obtention, le maintien ou le renouvellement des permis de propriétaire de taxi qu’il indique, dont le montant peut varier en fonction de chaque agglomération, des catégories de services identifiées et des conditions déterminées en vertu du paragraphe 1.1° ou du nombre de permis détenus par un même titulaire;

Si la loi actuelle fait allusion a des droits annuels, elle ne mentionne pas que le nombre de permis détenus par un même titulaire pourrait être un facteur determinant sur les frais que le dit détenteur doit assumer sur ses permis. Je pense immédiatement à un rabais qui pourrait avantager les gros joueurs, et entrainer une consolidation dans un marché où il y a déjà très peu de compétition. Encore ici, Téo est probablement un des gros joueurs qui pourraient être visé par cette disposition.

Articles 37 & 38

« 117. Commet une infraction et est passible d’une amende de 2 500 $ à 25 000 $, s’il s’agit d’une personne physique, et de 5 000 $ à 50 000 $, dans les autres cas, quiconque : 1° offre un service de transport par taxi sans être titulaire d’un permis de propriétaire de taxi; [...]

Les amendes actuellement prévues à l’article 117 sont de 350$ à 1050$. Il va sans dire que l’augmentation est substantielle, et vise carrément à utiliser le bâton pour punir les Über de ce monde. L’article 38 du projet de loi modifie aussi les amendes pour les entreprises offrant des services de publicité et de répartition.

Conclusion

Le projet de loi en tant que tel ne rends pas Über illégal, puisque selon les lois en vigeur, les services offerts pouvaient déjà être considérés illégaux. Ce qu’accompli le projet de loi est l’ajustement sémantique de plusieurs définitions pour mieux pouvoir dénoncer les services de transport alternatifs susceptibles de ne pas se plier à la legislation existante sur les taxis, en plus de grandement augmenter les amendes  pour les infractions qui constituent du transport illégal et d’introduire la suspensions de permis en cas d’infraction. Ces dispositions rendent impossible pour Über la continuité de leurs opérations en sol Québecois. Du même coup, le gouvernement s’arroge aussi de nouveau pouvoir sur la determination du nombre de permis de taxis, et introduit des mesures qui pourrait favoriser certains joueurs comme Téo.

C’est la même vielle recette: au échecs du gouvernement, plus de gouvernement; face à l’innovation, une réaction violente des acteurs qui profitent du statu quo. Si le projet de loi passe dans sa forme actuelle, le Québec envoi un très mauvais message aux entrepreneurs et innovateurs: our way or the highway, ou dans les mots du ministre, “chez nous, ca va se passer comme ca”.